Il est temps d'arrêter d'appeler les subordonnés masculins « kun » — Quand les formes d'adresse faussent l'évaluation et les relations
Introduction
« Les subordonnés hommes sont appelés kun, les subordonnées femmes san. »
Si vous appartenez à la génération des quinquagénaires, vous avez probablement entendu cette formule tout au long de votre carrière, comme si c’était normal. Elle m’a toujours mise mal à l’aise.
Pourquoi seuls « les hommes d’un rang inférieur » restent coincés avec ce « kun » ?
Cette terminaison véhicule l’idée de quelqu’un « d’immature » ou « d’inférieur », qu’on le veuille ou non. Elle possède un pouvoir de distorsion sur la relation hiérarchique, et finit par peser sur l’évaluation et la confiance.
Je veux revenir ici sur mes propres expériences et sur les valeurs d’aujourd’hui pour montrer en quoi cette « culture du kun » est problématique, et pourquoi le moment est venu d’y mettre fin.
Brève histoire d’une coutume
D’où vient cette distinction « homme = kun, femme = san » ?
Après-guerre, écoles et clubs ont pris l’habitude d’appeler les garçons par « kun » et les filles par « san ». Cette pratique reflétait la division traditionnelle des rôles de genre, puis a été importée telle quelle dans l’entreprise.
Les garçons restaient « kun » entre eux, les filles « san » : cette règle implicite a été prolongée à l’âge adulte.
Or la société change. L’égalité progresse, et la position ou les compétences ne dépendent plus du genre. Pourtant, la forme d’adresse reste figée dans un autre temps.
Note pour les lectrices et lecteurs qui ne connaissent pas les honorifiques japonais : -san est un suffixe neutre et respectueux comparable à « M./Mme » en français, alors que -kun est traditionnellement employé pour les garçons, les subalternes masculins ou les collègues proches. Parce qu’il suggère un statut junior, réserver -kun aux hommes introduit une hiérarchie implicite.
La puissance invisible des appellations
S’adresser à quelqu’un n’est pas un simple étiquetage. Les mots sont porteurs.
Appeler constamment un subordonné masculin « kun », c’est ancrer inconsciemment « san = égal » et « kun = inférieur ».
Dire « Madame » aux femmes et « kun » aux hommes paraît anodin, mais cela tord l’atmosphère de l’organisation.
- Maintien des rapports de pouvoir : la différence d’appel fixe la relation entre responsable et subordonné.
- Terreau du harcèlement : associer « kun » à « c’est un des nôtres » ou « un gamin » légitime des comportements condescendants.
- Et, à l’inverse, « Machin-kun » est de la maison tandis que « Machine-san » finira par partir se marier — une vision dépassée qui s’accroche.
Parce que nous ne faisons plus attention à ces gestes répétitifs, leurs effets s’infiltrent en profondeur et façonnent la culture du lieu de travail sans qu’on s’en rende compte.
Et s’il n’y avait que la différence hommes/femmes, peut-être pourrions-nous encore parler de « distinction ». Mais soyons honnêtes : les hommes haut placés, eux, reçoivent bien le suffixe « san ».
Aujourd’hui, un junior ou un collègue plus jeune peut devenir votre supérieur du jour au lendemain. Les managers qui n’ont jamais dirigé de personnes plus âgées sont déjà l’exception.
Dans un tel contexte, continuer à dire « kun » aux plus jeunes et « san » aux plus âgés ne rapporte rien.
Et quand le collègue que vous appeliez « Machin-kun » devient votre manager, vous changerez brusquement pour « Machin-san » ?
J’ai vu des quadragénaires et quinquagénaires faire exactement cela. Se plier à un titre qui n’a de valeur qu’au sein de l’entreprise, modifier son langage dès que la hiérarchie change… La scène fait penser à un collégien perdu dans le nouveau règlement intérieur. Pathétique.
Si vous avez respecté tout le monde dès le départ, même en cas d’inversion hiérarchique, ni honte ni humiliation.
Ce que j’ai expérimenté — passer tout le monde en « san »
Depuis environ dix ans, j’appelle volontairement mes juniors et subordonnés masculins avec « san ».
Au début c’était un peu forcé, puis j’en ai vu les effets.
- Un respect naturel est né en moi envers mes collègues.
- La distance avec les juniors s’est équilibrée et le dialogue est devenu fluide.
- Les réflexes de prise de pouvoir inutiles se sont atténués, la confiance s’est construite plus facilement.
- Et surtout je n’avais plus à me trouver des excuses pour traiter différemment les femmes et les hommes.
Ce qui m’a surprise, c’est ma propre transformation. En changeant d’adresse, j’ai changé mon regard sur l’autre. Ce n’est pas juste une question de politesse : c’est une petite pratique qui change la culture d’une équipe.
Mettre à jour nos appellations à l’ère actuelle
À une époque où l’on clame diversité et inclusion, continuer à dire « kun pour les hommes, san pour les femmes » est un anachronisme.
Regardez à l’étranger : les titres comme Mr./Ms. existent encore, mais dans le monde professionnel on privilégie de plus en plus le prénom. Au Royaume-Uni, un titre neutre comme Mx. se répand depuis 2015. La tendance est claire : s’adresser à tout le monde de façon égale.
Cela évite à la fois de traiter les hommes comme des membres de la tribu autorisés à être brutaux, et de reléguer les femmes dans une catégorie extérieure. Cela aide à prévenir le harcèlement, à améliorer le confort de travail et à renforcer l’engagement des jeunes.
Ma proposition — dire « san » à tout le monde
La conclusion est simple.
- Appelez vos subordonnés hommes et femmes avec le même suffixe « san ».
- Plus qu’une règle formelle, affirmez votre volonté d’accorder le même respect à chacun.
L’appelation semble un détail, mais elle influence l’ambiance et les relations.
Comme l’écrivait Aristote, nos paroles deviennent des habitudes, et les habitudes finissent par façonner notre caractère.
Abandonner le « kun », adopter le « san » partout : c’est un pas vers une culture saine et, en même temps, une étape pour se forger soi-même un caractère respectueux.
Conclusion
La façon de s’adresser à quelqu’un est une force invisible qui façonne les relations humaines.
La coutume de dire « Machin-kun » aux subordonnés hommes déforme l’évaluation, fausse les relations et n’est plus compatible avec l’égalité de genre.
Ne laissez pas ce léger malaise traîner : changez vos mots dès maintenant.
Cette décision ancrera le respect et la confiance dans votre équipe et nourrira une culture tournée vers l’avenir.
Oui, pour la génération des quinquas, cela paraîtra sans doute un peu guindé au début. Mais une fois habitués, vous vous demanderez au contraire pourquoi vous avez pu vous croire plus important qu’eux, et vous regarderez les collègues qui persistent à dire « kun » avec un sourire ironique.
Cette lucidité humble ne peut que vous être bénéfique.
Il est temps d’en finir avec la « culture du kun pour les hommes subalternes ». La norme de la prochaine décennie, c’est « san pour tout le monde ».